lundi 14 décembre 2015

De la laïcité à l’incompréhension : la responsabilité politico-médiatique


En France, le discours portant sur la laïcité est récurrent. Tout le monde s’évertue à employer le terme, qu’il s’agisse des politiques, institutions, médias, ou encore des citoyens, sans nécessairement avoir une commune interprétation. 
 
D’ailleurs, la laïcité consiste elle à tolérer les religions dans l’espace public, ou à les bannir ? 

Pour rappel, la laïcité est définie de la manière suivante : « Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat et qui exclut les Eglises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement.[1]» 

Ainsi, en se basant sur cette définition, il appert que la laïcité fut pensée pour empêcher les Eglises d’exercer un pouvoir politique ou administratif. De ce fait, elle ne prévoit pas l’interdiction de la signification d’appartenance à une religion dans l’espace public (espace public à ne pas confondre avec « monument public » et « emplacement public » tels que définit à l’article 28 de la loi sur la laïcité de 1905).

La période des fêtes de fin d’année est devenue un terrain d’affrontement symbolique des partisans des différentes interprétations de la laïcité. Il semble alors nécessaire de s’interroger sur la légitimité de ces débats, et de se demander si ces dissensions sont inévitables.

La confusion entre cultuel et culturel

Certains éléments et événements relèvent du culte, alors que d’autres relèvent de la sphère culturelle. Toutefois, parmi eux, certains peuvent basculer du cultuel au culturel. 

Ainsi, l’exemple le plus parlant est certainement la fête de Noël, qui de nos jours, rentre davantage dans la seconde catégorie, compte tenu du fait que de nombreux individus non chrétiens la célèbrent.
Les symboles de cette fête sont désormais la cible de critique, le plus souvent en raison de leur localisation, puisque souvent visible dans l’espace public (sapin, père noël, crèche).
Qu’il s’agisse d’individus bien-pensants souhaitant qu’aucun signe religieux n’apparaisse dans l’espace public, de chrétiens estimant que Noël est un moyen de revendiquer haut et fort l’héritage chrétien de la France, ou encore, de pratiquants d’un autre culte estimant que la chrétienté est favorisée par rapport aux autres religions, ils ont tous en commun le fait d’interpréter cette fête comme étant une célébration cultuelle et non culturelle, ce qui semble être une erreur d’appréciation. 

Il faut bien comprendre que si chacun reste libre d’avoir l’interprétation qu’il veut de cette célébration dans sa vie privée, cette fête appartient également à la culture nationale.

De ce fait, il ne semble pas cohérent qu’une fête devenue culturelle, quand bien même aux origines cultuelles, ait à tomber sous le coup de la loi sur la laïcité de 1905, puisque n’ayant plus véritablement un caractère religieux au sens large national. 

Pour illustrer cette remarque, un autre exemple pouvant être cité est la fête d’Halloween. Il serait tout à fait possible de protester quant à ses symboles, en revendiquant le fait que ce ne soit pas laïque puisqu’étant à l’origine une fête cultuelle. Cependant, cela semblerait absurde, et ne viendrait probablement pas à l’esprit de beaucoup d’individus, puisqu’étant quasiment strictement culturelle à notre époque.


Une prise de conscience nécessaire

Alors que certains politiques et médias mettent de l’huile sur le feu en pointant du doigt tel ou tel fait considéré comme une dérive, ou une atteinte à la laïcité, il semblerait plus adapté qu’ils aient un comportement responsable visant à l’éducation et à l’information des citoyens. Au même titre que les personnes qui ont une fenêtre médiatique devraient insister sur la différence entre nationalisme et patriotisme, ils devraient prendre conscience de la nécessité absolue de la définition d’un cadre permettant aux citoyens d’appréhender le plus simplement possible la différenciation entre culte et culture.

Jamais un peuple n’a convergé spontanément vers un même idéal de vie, partageant les mêmes valeurs. Les peuples ont toujours été guidés, et la diffusion de l’information n’a jamais été plus facile qu’aujourd’hui. Il n’y a donc pas d’excuse possible, d’autant plus que cette diffusion d’information peut sans aucun doute avoir l’effet inverse, et créer une perte de repère, voir une désinformation, qu’il appartient de contenir, si ce n’est de combattre.

C’est ainsi qu’il est aisé de comprendre la nécessité d’aider un peuple multiculturel tel que celui de la France à converger vers davantage de tolérance et d’union nationale. Cela ne peut pas se produire naturellement, et certainement pas lorsque des discours relayés par les médias sèment plus d’incompréhension que de clarification.

Etre aux responsabilités implique de gouverner, certes, mais implique également d’unifier, et d’être pédagogue lorsque la nécessité s’en fait sentir, tel que dans un cas pareil. 

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Le véritable problème n’est alors pas la présence de certains symboles dans l’espace public, mais l’absence d’information et d’éducation visant à guider les citoyens vers une interprétation commune. En effet, l’incompréhension de ce genre de phénomène mène à l’intolérance, qui elle- même contribue à la désintégration d’une quelconque unité nationale.

C’est ainsi qu’il est possible d’estimer que les dissensions ne semblent pas être une fatalité, et que ce genre de débat sur la laïcité ne devrait être légitime qu’à partir du moment où ils visent à unifier la population, et non la diviser.

Sans reprendre à la lettre l’idée de religion civile théorisée par Jean- Jacques Rousseau dans « Le contrat social », il n’est pas insensé de considérer qu’à notre époque, l’unification d’un peuple passe par des symboles et des rituels communs, la plupart du temps issus de l’histoire du pays, et de fait basculant parfois, ou ayant basculé du culte à la culture. Ce processus ne pouvant vraisemblablement pas s’effectuer excluisvement de manière autonome, il nécessite d’abord une cohésion en matière politico-médiatique.


[1] Source : Dictionnaire Larousse en ligne, consulté le 13/12/2015, <http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/la%C3%AFcit%C3%A9/45938>

jeudi 3 décembre 2015

Clarification du cadre d'emploi du menottage

De nouveau un article de presse du journal Le Monde.fr portant à confusion pour le grand public, concernant l'encadrement du menottage par les forces de l'ordre.

Dans cet article, la démonstration du journaliste est grotesque. Laurent Borredon tente malgré tout d'affirmer que le fait de menotter une personne sans qu'elle soit poursuivie pénalement par la suite, est illégal.

La première partie de l'article 803 du Code de Procédure Pénale prévoyant le menottage, cité dans la publication, est en effet celle- ci :

"Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite."

Tout d'abord, il faut rappeler que l'article 803 du Code de Procédure Pénale permet aux agents de terrain de faire preuve de discernement. Autrement dit, un individu peut être considéré dangereux, sans pour autant avoir un comportement "activement" dangereux.

Ainsi, l'esprit dans lequel l'article 803 du Code de Procédure Pénale a été rédigé permet aux agents de justifier le recours au menottage, dont la nécessité est donc laissée à leur appréciation.

Ensuite, il faut également rappeler qu'une circulaire n'a aucune prédominance sur le Code de Procédure Pénale. La hiérarchie des normes place les circulaires au plus bas de l'échelle.

Enfin, quitte à citer cette circulaire, il faut tout de même évoquer ce que le journaliste prend le soin d'éviter, à savoir la motivation d'une perquisition :

"Le critère déterminant étant les raisons sérieuses de penser que le lieu est fréquenté par une personne dont le comportement menace l'ordre ou la sécurité publics, ce qui nécessite de disposer d'éléments objectifs en ce sens. En particulier, il est nécessaire de disposer du nom de la personne et des éléments qui la rattachent à ce lieu."

Ainsi, lors d'une perquisition, les agents ont une raison légitime de menotter un individu "considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui- même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite." puisqu'intervenant dans un lieu où au moins une personne "dont le comportement menace l'ordre ou la sécurité publics..."

Au delà de cette circulaire, les articles prévoyant la perquisition dans le Code de Procédure Pénale (CPP Art. 56 et suivants) sont explicites sur le fait que le lieu perquisitionné abrite un individu potentiellement dangereux, puisqu'auteur présumé d'un délit/crime.

Ainsi, lorsque l'on sait appréhender correctement le fonctionnement de la procédure pénale, les termes des articles 56 et suivants du CPP, 803 du CPP et de cette circulaire sont aisément compréhensibles, et le menottage peut tout à fait être légal sans attendre qu'un individu soit poursuivi en justice.

La confusion du journaliste ne peut s'expliquer que par sa méconnaissance de cette procédure judiciaire française, et en particulier, par son interprétation du terme de "contrainte".

Laurent Borredon l'associe au seul menottage, alors que ce terme correspond à une privation de liberté telle que la garde à vue, qui elle, n'implique pas nécessairement de menottage...

http://delinquance.blog.lemonde.fr/2015/12/02/etat-durgence-des-menottes-qui-ne-passent-pas/?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook

vendredi 27 novembre 2015

Daesh et le droit international : non, ce n'est pas une organisation criminelle

Je ne partage pas l'analyse de Marie- Laure Basilien- Gainche quant à son approche de la qualification juridique de Daesh (http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/11/19/etat-d-urgence-une-marge-de-man-uvre-bien-trop-large-est-offerte-aux-autorites_4813627_823448.html).

C'est regrettable que de tels propos soient tenus dans un article du Monde, cela pouvant entrainer une confusion et de l'incompréhension dans l'esprit des lecteurs non avisés. C'est la raison pour laquelle il me semble nécessaire d'effectuer une petite clarification.

Tout d'abord, il faut rappeler que le droit international prévaut sur le droit interne, et que Daesh tombe sous la définition d'un "groupe armé non étatique".
Cette définition, prévue par l’article 1er du Titre 1 du Protocole second additionnel de 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, est la suivante : "groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées."

Le Bureau des Affaires Humanitaires de l'ONU reprend l'esprit de cette définition en les termes suivants : "Un groupe armé non étatique est un groupe capable d’utiliser les armes et la force pour atteindre ses objectifs politiques, idéologiques ou économiques, qui échappe au contrôle de l’État ou des États dans lesquels il est actif, et qui ne fait pas partie de la structure militaire officielle d’un État, d’une alliance nationale ou d’une organisation intergouvernementale."

Ainsi, Daesh, groupe armé non étatique, est du ressort du droit international. La France ne fait que respecter la hiérarchie du droit.

Qualifier Daesh d'organisation criminelle, et ne pas faire la distinction avec un groupe armé non étatique est une méconnaissance regrettable du droit international. La distinction est essentielle, tout autant que les conséquences qui en découlent.

Daesh n'est pas une organisation criminelle : elle concurrence les Etats où elle agit, et n'a pas pour objectif le seul profit financier.

Par ailleurs, si la France la qualifiait d'organisation criminelle "simple", elle ne pourrait nullement poursuivre des opérations militaires à son encontre sur des territoires étrangers. Il faudrait alors se contenter d'appréhender les individus en France, ou demander leur extradition aux Etats dans lesquels ils agissent. . . . . Ce qui semble peu envisageable dans l'état actuel des choses.

La véritable question qui se pose avec les actions de plus en plus courantes de ces groupes armés non étatiques (GANE), est leur prise en charge par le droit international, et plus particulièrement le droit des conflits armés, et le droit humanitaire.

Ces droits prévoient des cadres juridiques que ces groupes ne respectent absolument pas, alors que les Etats qui luttent contre eux ont l'obligation de les respecter.

Il serait alors plus que souhaitable que les textes internationaux évoluent avec la réalité d'action de ces GANE, cela permettant aux Etats concernés d'agir avec plus de cohérence face à ces acteurs internationaux émergents.